Nicolas Raljević
LE PROFESSEUR QUI PAR ENTOUSIASME A TRADUIT LE GOLGOTHA DE KRLEŽA EN FRANÇAIS
Jusqu'à présent, Raljević a traduit 42 titres d'auteurs croates sans aucun soutien des institutions françaises ou croates. En ce moment, il travaille sur la traduction de Dundo Maroje, qui sera la première traduction française de la version originale de la comédie de Držić.
Texte de
Karmela DEVČIĆ
Jusqu'à présent, Raljević a traduit en français 42 titres d'auteurs croates. En ce moment, il travaille sur la traduction de Dundo Maroje, qui sera la première traduction française de la version originale de la comédie de Držić. Pour traduire Dundo Maroje, il a utilisé l'édition publiée par Frano Čale. « Il s'y trouve beaucoup de notes de bas de page, qui expliquent énormément le contexte, les coutumes. Finalement, c'est aussi comme cela que les Croates lisent Dundo Maroje », dit-il.
Dundo Maroje est terminé et n'est pas terminé. « Cela dépend », estime Raljević. « Il m'a fallu plus d'un an pour le traduire, j'ai fini maintenant, mais il faudra peut-être encore deux ans pour le « fignoler »… Je dois revenir au texte, sur plusieurs passages, je relis souvent cette traduction, corrige, regarde l'original. Il n'y a jamais de fin. Pour l'instant, je ne suis pas encore satisfait, certains passages ne me plaisent pas, il reste en fait toujours quelque chose sur quoi tu peux travailler. Sans cesse. Je ne travaille pas seulement sur Dundo Maroje, parfois je l'abandonne, je travaille sur autre chose, puis j'y reviens. C'est aussi ce que j'ai fait par ailleurs lorsque j'ai traduit Skup.
Il y a un an, le traducteur Raljević a fondé Prozor, une maison d'édition (https://prozor-editions.com) car dit-il, il avait « non seulement la bonne volonté mais tout autant l'opportunité de le faire ». Il enseigne la langue française et les lettres dans le lycée professionnel Claude Garamont dans la banlieue parisienne, où se forment des métiers pour le design graphique, la programmation graphique et l'imprimerie…
Prozor, explique-t-il, est en vérité « une fenêtre depuis la France à travers laquelle se voit ce qui se fait dans le théâtre croate ». Raljević est porté par un facteur tout à fait personnel et intime : « Ma mère est française, mon père dalmate, Prozor est pour moi une passerelle entre la France et la Croatie. Je suis professeur dans une école où j'ai la possibilité d'imprimer, de publier des livres sans que cela soit trop cher. Il est vrai que je perds de l'argent en éditant des pièces croates, mais cela n'est pas grave, l'essentiel c'est que ces pièces existent. Et si elles restent, quelqu'un finira bien par les lire peut-être aussi. C'est pour moi une aventure, j'étais content déjà quand j'ai commencé à traduire des pièces de théâtre, et maintenant que je peux aussi les éditer – c'est une joie », affirme-t-il.
Jusqu'à présent, aux éditions Prozor, trois livres ont été publiés : Messieurs les Glembay de Krleža, La trilogie de Dubrovnik de Vojnović et Un yacht américain dans le port de Split de Milan Begović.
Bientôt, il sortira Golgotha, puis Jeu à deux de Tito Strozzi, et planifie pour la fin de l'année aussi l'édition de Skup de Držić. Les titres qu'il publie sont imprimés à un tirage de deux cents exemplaires environ. Il envoie une partie dans trois librairies parisiennes, quelques ouvrages sont destinés au bouquiniste zagrébois Le Cœur de la pastèque (Srce lubenice) dans la rue Opatovina, et il offre une partie aux plus importantes bibliothèques parisiennes, comme la Sorbonne et d'autres. Il a contacté auparavant les bibliothèques et les librairies avant l'impression du premier ouvrage, dit-il. Il s'est assuré de leur intérêt. On trouve cependant d'autres personnes que cela intéresse. Même si ce n'est que pour recevoir le livre en cadeau.
Raljević (54 ans) est le fils d'un Croate qui est parti de Sali sur l'île de Dugi otok en France à la fin des années 1950. Il a atteint la retraite à Paris en tant qu'ouvrier. Ils n'ont pas parlé beaucoup ensemble en croate ni aujourd'hui ni avant.
Nicolas Raljević a d'abord appris le français, ce n'est que plus tard, alors qu'il était déjà scolarisé, qu'il s'est retrouvé de plus en plus souvent confronté au croate, ou plus exactement au dialecte que l'on parle à Sali, quand ses parents l'envoyaient en Croatie pendant les vacances scolaires. Il se souvient qu'il devait avoir six ou sept ans quand ils l'ont laissé pour la première fois chez le grand-père, la tante… « Je demeurais en Croatie, je voyais les autres enfants jouer au ballon, je les ai rejoints, j'ai d'abord appris à jurer, comme tout le monde, après cela je me suis mis à lire des bandes dessinées, et ainsi de suite… Voilà, à présent vous m'entendez. J'ai davantage appris ce dialecte que la langue standard. Plus tard, j'ai pris de moi-même en mains les dictionnaires, les grammaires, je voulais progresser, je voulais apprendre, mais même aujourd'hui je ne suis pas sûr de savoir quelque chose... »
Beaucoup d'années se sont écoulées avant qu'il ne se décide à améliorer son croate en étudiant à la Sorbonne. « J'ai passé un an en cours. Je parle très rarement croate. À part quand je me rends en Croatie. Je parle peu, mais je lis beaucoup. Je comprends beaucoup mieux que je ne parle. Je me torture autour de toutes ces déclinaisons depuis des années et je n'aurai jamais la paix. La grammaire est difficile », dit-il.
L'intérêt pour la langue française et la littérature l'a conduit dans ses années de maturité à s'intéresser à la langue et la littérature croate. Il s'est tout d'abord intéressé aux dramaturges français, et des années plus tard il a découvert les croates.
Il y a une dizaine d'années, il a traduit Métastases d'Alen Bović. « Cela m'a encouragé et intéressé. J'ai essayé d'aller plus loin, voulu travailler sur quelque chose de plus complexe. C'est ainsi que j'ai effectué la traduction de Messieurs les Glembay qui a été lue publiquement en 2012 au Carrousel du Louvre lors du festival croate en France « Croatie, la voici ». Des membres de la troupe de la Comédie française l'ont lue sous la direction de Laurent Muhleisen. »
Entre autres traductions de Raljević, citons une dizaine de titres : Venus victrix et L'homme de Dieu de Milan Begović, Klara Dombrovska de Josip Kulundžić, Jeu à deux de Tito Strozzi, Le tigre de Marijan Matković, La montagne d'Antun Šoljan…
La plus grande partie de ces traductions s'est effectuée lors des séjours sur l'île de Dugi otok où se trouve la vieille maison paternelle. « J'aime le calme sur Dugi otok en dehors de l'été… J'aime beaucoup lire, nager, je cours chaque matin. Je me lève tôt, dès que le jour pointe. Je fais mon jogging puis je vais faire les courses, dans la boutique locale, je lis les journaux, puis je m'enferme dans la maison et je traduis. Cela dure toute la journée. Il n'y a rien de mieux que de travailler sur une île. En fin de compte, beaucoup d'artistes croates le reconnaissent. »
Il ajoute qu'il désire très fort traduire quelque chose de l'opus d'Arsen Dedić. Il a lu récemment Le Mariage politique de Fadil Hadžić. Je vais peut-être le traduire prochainement, car c'est un texte plutôt facile, et cela me servira en quelque sorte de repos avant de relire et corriger Dundo Maroje.
Il séjourne en moyenne en Croatie, toutes périodes comprises – et simultanément, il fait le compte de toutes les semaines sur l'année – environ trois mois par an. « Cela se monte peut-être à quatre mois », lance-t-il. En fait, toutes les vacances qui dans le système scolaire français représentent beaucoup.
Il se rend ainsi sur Dugi otok tous les mois et demi. D'ordinaire pour deux semaines. En été, c'est alors deux mois. Il est généralement à Sali, mais il se rend à Zagreb, à Split, Pula, il va là où l'intrigue quelque pièce au répertoire du théâtre local. Il a vu Dundo Maroje quelques années auparavant au théâtre Gavella, cela l'a incité à lire la pièce, plus tard à en entreprendre la traduction.
Il ajoute pendant que nous discutons qu'il a vu au Théâtre national croate de Zagreb au mois de février Le roi Lear. Et Richard III à Gavella. Il mentionne Les invisibles de Tena Štivičić, des productions du Théâtre zagrébois de la jeunesse. Il se rend une quarantaine de fois au théâtre. Une année, raconte-t-il, il avait fait le compte ; il en résultait qu'en France et en Croatie il avait assisté à 42 représentations, et il pense que cette année en ce qui concerne sa fréquentation des théâtres était en fait moyenne. Peut-être cela n'a-t-il pas beaucoup de sens, mais il entreprend spontanément une comparaison entre les vies théâtrales à Paris et à Zagreb. En dehors du fait qu'il y ait dans la capitale française davantage de lieux de théâtre, incomparablement plus de troupes internationales, il remarque : « Je ne pense pas que le théâtre en Croatie n'est pas développé. Quand je suis en Croatie, j'aime voir des représentations des dramaturges locaux, même si je regarde aussi beaucoup d'œuvres étrangères. J'ai vu il y a environ un mois et demi Ero de l'autre monde au Théâtre national croate. J'aime le théâtre zagrébois car je crois qu'on sent en lui le sceau de l'Europe centrale, c'est une autre mentalité et ici certaines œuvres importantes sont mises différemment en valeur. Disons, je trouve intéressant de voir Shakespeare à Zagreb, j'y trouve toujours quelque chose de spécifique.
Ou, dit-il, il se souvient que le Tartuffe qu'il a vu au Gavella était le meilleur Tartuffe qu'il n'ait jamais vu, et il en a vu une dizaine de mises en scène diverses. « Mais jusqu'à celui du Gavella, je n'avais jamais vu un Tartuffe dans une mise en scène aussi comique, personne n'a osé aller aussi loin dans l'humour que les Croates. C'est cette lecture différente en Croatie qui m'a un peu surpris. J'aime aller dans ces petits théâtres zagrébois. Le public dans les théâtres croates est plus hétérogène qu'en France. À Zagreb, à Split, je vois souvent des jeunes gens dans les théâtres ; en France, c'est une population plus âgée qui domine. En Croatie, ce n'est pas rare que les gens à côtés de moi échangent à mi-voix pendant la représentation quelques mots. En France, c'est impensable. Le théâtre français est plus fermé, plus élitiste, plus étanche, et je ne pense pas que ce soit une bonne chose. »
Karmela Devlić
Globus / Jutarnji list, 06. 04. 2018.
Bientôt sera publié en français le Golgotha de Krleža. Derrière cela, comme cela se produit souvent avec les traductions des classiques croates, mais aussi de certains auteurs contemporains, se trouve uniquement l'enthousiasme d'individualités. Dans ce cas-ci, déjà celui d'un homme – Nicolas Raljević. Car derrière Raljević ne se trouve ni une institution ni une quelconque fondation, un fonds littéraire de l'État qui soutiendrait son travail sur Krleža et l'impression des livres.