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Extrait de la postface de Boris Senker

 



En lisant Héraclès, le mythe attire évidemment la plus grande attention, mais pas autant que la relation de l'auteur envers le mythe, bien que la critique l'ait abordé aussi, mais comment Matković ici heurte l'histoire au mythe, et le mythe à l'histoire, demeurant ainsi dans la proximité de Krleža et, cela vaut la peine de l'ajouter, pas si loin de Vojnović en tant qu'auteur d'Allons enfants !... Le mythe et l'histoire chez Matković ne luttent pas directement, sur quelque champ de bataille idéologique, mais à travers leurs captifs, à travers les protagonistes et les antagonistes qui sont ici littéralement des agonistes, des combattants. Héraclès est sans conteste le personnage principal, le protagoniste du drame. Mais qui est son antagoniste ? Déjanire ? Licha ? Les poètes ? Non. Ceux-là sont, même si c'est relativement un groupe homogène, trop petits pour égaler en adversité un Héraclès et ils ne peuvent se trouver qu'en position de groupe d'assistants d'un antagoniste. L'antagoniste est alors de nouveau Héraclès, mais un autre Héraclès. Pourquoi ? En face de l'Héraclès mythique, en vérité le seul authentique, que sur la scène représentent non seulement « l'énorme statue […] d'un géant musclé, en complète tenue de guerre », tel que « nous le connaissons des livres d'histoire du lycée contemporains », mais aussi les divagations en hexamètres des poètes aveugles et les désinformations que lancent en public sa femme Déjanire et ses courtisans, s'est retrouvé le prétendu Héraclès historique, un vieillard rhumatisant fatigué qui est évidemment une invention de Matković. Étant donné que les hommes du siècle nouveau prennent les personnes historiques pour plus authentiques que les personnages mythiques, le premier (l'authentique, l'Héraclès mythique) dans le monde dramatique représenté devient une fiction, une invention, un fantôme dont la machine de propagande de la cour utilise comme image pour effrayer et tenir dociles des sujets et des ennemis, et celui-ci (l'Héraclès inventé, historique) dans le même monde acquiert le statut de dirigeant authentique de la Thessalie. Celui-là est un mensonge, celui-ci est la vérité. Celui-là est l'antagoniste, celui-ci le protagoniste. L'Héraclès « historique » de Matković, il a été dit, « n'est en rien semblable à sa statue : c'est un homme vieilli avant son terme, un peu déformé, visiblement rhumatisant », mais il est ainsi plus semblable aux puissants contemporains de Matković – et pas seulement de Matković –, maîtres de la guerre et de la paix, les empereurs, des chefs de guerre et des tyrans immortalisés dans d'innombrables monstres de marbre ou de bronze qui sont, en vérité, les repères quantitatifs avec lesquels peut se mesurer la force du pouvoir projeté dans leur corps fragiles et mortels.

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